[BG] Inferno

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Extraits du livre Entretien Avec la Fin du Monde, par Montagol VerteEcaille, druide et dracomancien affilié au cercle de Constance.

« A l’heure où je rédige ces lignes, Inferno est une dracoliche à laquelle on accorde l’âge vénérable de 1600 ans. S’il est jeune en comparaison aux Dragons Pères, il n’en reste pas moins d’une puissance au moins égale à la leur. »

« Approcher Inferno chargé de parchemins, d’encriers et des plumes ne fut pas aussi compliqué que ce que j’avais imaginé. Ma réputation m’avait précédé et comme je l’avais espéré en me mettant en route vers son antre, il se montra enclin à m’aider, moi qui voulait faire de sa vie une légende. Dès lors, j’avais l’avantage comme à mon habitude et il m’était possible d’obtenir de lui ce que je voulais tant qu’il y aurait une promesse de notoriété à la clef. J’allais jouer en faveur de son règne de terreur, cela ne pouvait que le satisfaire. »

« A l’époque de notre entretien, Inferno était déjà devenu cette dracoliche que l’on connaît à ce jour. Si la plupart de celles que j’avais pu croiser jusque là était dépourvue d’intelligence et soumise à un créateur, il m’est apparu rapidement que celle qui se trouvait alors face à moi était bel et bien libre de ses agissements et de ses réflexions. Mais de cela je me doutais déjà, c’est d’ailleurs ce qui motiva ma démarche. Le voyage dans le royaume des morts d’Inferno me paraissait dès lors avoir été une étrange aubaine pour un personnage tel que lui, et mes propres connaissances en la matière m’ont toujours prouvé que la mort ne fait jamais aucun cadeau, pas même aux puissances. C’est en discutant avec lui que je réalisai qu’il me fallait comprendre ce que cachait son histoire. »

« Il y a plus d’un siècle de cela, Inferno se faisait bannir du peuple draconique pour haute trahison. Le motif officiel fut alors d’avoir rompu le pacte silencieux des dragons en s’alliant à la cause de Thanos. Bien nombreux étaient ses semblables qui virent en cela une excuse trop belle pour les mortels de justifier leur haine et leur peur des dragons. Jugé par les Dragons Pères, Inferno fut sommé de quitter le territoire draconique, ce qui ne lui laissait d’autres choix que de se mêler aux peuples mortels. En réalité, cela faisait bien longtemps qu’il était un poids pour la paix et l’équilibre que vénéraient les dragons, car même envers les siens, il ne cessait de se montrer vindicatif et violent. Les Dragons Pères craignaient aussi par-dessus tout son inextinguible soif de pouvoir et sa haine sans cesse grandissante pour les mortels arrogants et leurs splendides cités. Son bannissement arrangeait les Dragons Pères qui ne souhaitaient pas avoir un jour à répondre des actes de ce destructeur incontrôlable. Ils sautèrent alors sur le premier prétexte qui se présenta pour l’exclure et se débarrasser du problème. »

« Aux yeux du monde et de l’histoire, Inferno fut la monture et le champion du dieu tyran. Il fut renommé ainsi lorsqu’il commença ses massacres et nul ne connaît plus aujourd’hui son véritable nom, hormis les Dragons Pères et quelques rares initiés. Il est en réalité très difficile de définir avec exactitude les liens qui l’unissaient réellement à Thanos, aussi difficile que de savoir en quoi consistait leur accord. Inferno n’a pas souhaité me révéler le fin fond de cette partie de son existence, ni même son véritable nom, mais je sais tout de même qu’il s’agissait plus d’un contrat que d’une réelle soumission. Il joua donc au mieux le rôle que Thanos voulait lui accorder jusqu’au jour où ce dernier fut neutralisé par Téméria. Thanos sombra alors dans le silence et l’oubli, laissant derrière lui de nombreux serviteurs défaits et sa monture d’écailles. Inferno sombra à son tour dans un sommeil similaire mais il m’est impossible de dire avec certitude si cela fut un choix ou une contrainte. Lorsque le retour de Thanos était en marche et que plus rien ne pouvait l’empêcher, Inferno émergea de l’obscurité et reprit son règne de terreur là où il l’avait laissé. Nul n’avait oublié ses massacres sauvages et sanglants. Mais le rêve de victoire ne fut qu’une illusion pour lui et tout s’évapora entre ses griffes le jour où sa route croisa celle de ceux qui fondèrent la légende du Septime. Vaincu par l’alliance de sept des plus puissants aventuriers de l’orient après une lutte sans merci, le dragon rouge le plus craint d’Arkalym aurait sans doute du disparaître à jamais, laissant les peuples en paix et libérant les âmes de ses victimes torturées. Mais Inferno n’est pas de ceux que la défaite réduit au silence. »

« Ce n’est que lorsqu’il me raconta son voyage dans le royaume des morts et sa rencontre avec celui que nous pauvres mortels nommons Okhar que je commençai à entrevoir l’ombre qui collait à la peau de cet être aussi dangereux que fascinant. Pour ceux qui n’ont eu l’occasion de discuter avec lui, il était effectivement assez simple de déduire que la mort lui accorda une grâce. Certains amateurs de raccourcis enfantins auront même avancé l’idée qu’Inferno constituait un bon moyen pour les trois fosses de gonfler le nombre de leurs invités. Mais ceux-là sont dans l’erreur et semblent ne pas connaître le cycle de la vie et son fonctionnement, car je tiens pour évidence que les victimes d’Inferno ne connaissent pas le repos froid et silencieux que chacun mérite après une vie bien remplie. Chaque tête qu’il prend devient une créature errante obéissant aveuglément aux ordres de son bourreau. C’est en ce point, me semble-t-il, qu’il est possible d’affirmer que cette dracoliche est plus proche du créateur nécromant que de la créature. De même, c’est à mon avis en ce point que s’exprime sa plus grande faiblesse. »

« Inferno et Okhar discutèrent dans le sanctuaire des sanctuaires durant des jours, des semaines même. On raconte ici et là qu’Inferno vendit son âme aux spectres de la mort pour pouvoir revenir jouire de sa vie sur Arkalym, mais c’est là aussi la preuve de l’incompréhension de certains des enjeux du Multivers. Un point de vue qui sous estime Inferno, comme beaucoup ont l’habitude de le faire, et qui ne s’intéresse qu’à la bête et non pas à la puissance. Il m’expliqua que c’est à ce moment là qu’il entendit pour la première fois les mots qu’il semblait avoir cherché durant toute son existence, errant sans but apparent et pourtant convaincu que quelque part un rôle l’attendait, que les hautes sphères ne l’avaient pas oublié le jour où elles tracèrent les destinées de chacun. Okhar lui révéla qu’en son âme sommeillait ce que l’on nomme l’Amarth-Faüg, ce qui littéralement signifie « Celui qui brisera les destinées. » Si les Princes d’Amarth sont les gardiens de l’avenir, Inferno était donc voué à se placer à l’extrême opposé de cette démarche, bien qu’au jour de notre entretien, il ignorait encore comment cela allait bien pouvoir se concrétiser. »

« Il me rapporta une partie du discours que lui tint alors Okhar tandis qu’il lui faisait visiter la Haute Fosse :
"Le monde est un théâtre qui ne distingue ni la vie ni la mort. Les Arcanes décident de tout, sauf de ce qui leur échappe. Peu de choses restent incontrôlées, si peu en vérité qu’il m’arrive même de remettre en doute la définition même de ce que l’on nomme les Dégénérescences Essentielles, ces puissances qui ne répondent à aucun code, aucune règle, aucune logique, des puissances isolées qui se moquent bien du jeu des Arcanes, des puissances qui n’agissent que pour leur compte ou qui pensent le faire. Mais que dire alors de ces écrits légendaires qui annoncent depuis tant de temps l’arrivée de l’Amarth-Faüg ? Ces écrits sont-ils le résultat d’une peur fantasmatique grandissante dans l’esprit de quelques mortels imaginatifs ? Est-ce la vision éclairée d’un prophète qui aurait vu ce que nous réservait l’avenir, ou le non-avenir ? Ou bien encore est-ce le fruit d’une manipulation de nos chères Arcanes que la recherche d’objectivité et de neutralité absolue pousse sans cesse à prévoir autant de moyens de nous détruire que de nous porter vers la gloire ? Je l’ignore car moi-même je suis un pion, tout comme l’Amarth-Faüg en est un, qu’il l’accepte ou non. Si cet être est celui qui doit théoriquement venir briser tout ce que les Arcanes ont fondé, et qu’il est le fruit de ces dernières, alors à quoi bon avoir porté à bout de bras un monde tel que le Multivers ? Les Arcanes n’aiment pas perdre leur temps, ainsi ta victoire comme ta défaite ne peuvent être écrites par avance et tout reste possible, tout reste entre nos mains. N’oublie jamais cela. Tu es le fruit d’un doute, une échappatoire. Mon avis est que tout cela n’est qu’un jeu mais un jeu des plus importants et des plus subtils, un jeu que nul n’a le droit de prendre à la légère. Pas même toi, Amarth-Faüg, car il y a sur l’échiquier bon nombre de puissances qui ne sont là que pour jurer de ta perte. L’Amarth-Faüg tu es, ainsi je ne peux te garder auprès de moi et il me faut me contenter de faire ce que l’on me demande. Alors va, toi que les mortels appellent Inferno, je te rends ta liberté et dépose sur la ligne de ta destinée le baiser mortuaire qui te donnera les ailes qui te faisaient défaut jusque là. Je suis celui qui fera de toi ce que tu dois être, car les Arcanes ont ordonné qu’il en soit ainsi." »

« Dès lors, de retour chez les vivants, Inferno devint plus enragé, plus assoiffé et plus libre que jamais. Revenu de ce voyage sous la forme d’une dracoliche, sa puissance désormais ne cesse de croître à une vitesse quasi irréelle, une ascension qui ne saurait être freinée que par son anéantissement. Craignons l’Amarth-Faüg, car il est le symbole de ce qu’il y a de plus laid et de plus enfoui en chacun de nous autant que dans les profondeurs du monde, il est le non-espoir et le non-avenir. La fin de tout. »