[Arkalym 3] Shalina

Inès a lu et relu ce texte. Plusieurs fois elle a fait mine de le jeter dans le feu, plusieurs fois elle a fait demi tour et l'a reposé sur la table de chevet.

Elle se souvient de cette première rencontre.
Elle se souvient de tant de choses. Shalina Feala Mezak était la quintessence de tout ce qu’elle abhorrait : une elfe, une barde...de mœurs abominables , flirtant avec hommes et femmes.
Bien sûr, elle, depuis trois ans, s’étend soir après soir contre Ambre, mais...ce n’est pas la même chose. Elle, Inès de Tarse éprouve le remord, le frisson et l’angoisse du pêché. Cela et la peur d’être découverte. Surtout cela en fait...

Sans doute a t’il fallu bien des efforts à Shalina pour aller au delà de sa froideur, de son masque impassible. Elle a laissé l’elfe faire tout le chemin jusqu’à elle. Elle n’a avoué et révélé que le minimum, par prudence, par manque de confiance. Car au fond, elle n’a confiance en personne.
Ce qui l’a ému en vérité, c’est de retrouver chez Shalina la même frayeur, ce même désarroi, ce même sentiment d’être mené, les yeux bandés, sur un chemin étroit bordé de précipices. Pour cela, elle a brièvement succombé, le temps d’un unique baiser.

Quand plus tard l’elfe lui a annoncé son intention de devancer la mort mais surtout sa volonté de sacrifier sa vie finissante dans une folle tentative pour détruire Gwaenardelle, elle a songé à la trahir.
Oh pas par volonté de nuire, juste par crainte.
Elle ne croyait pas Shalina capable d’emporter Gwaenardelle avec elle, mais craignait d’éventuels remous qui l’aurait amené à rendre des comptes devant le Saint Ordre. Que se passerait il encore, si Gwaenardelle apprenait la pusillanimité de sa vassale, qui connaissant les intentions de Shalina était demeurée les bras croisés, attentiste.
Si elle n’a pas bougé, c’est seulement par conviction que la folle tentative de l’elfe était vouée à l’échec.

Elle relit encore la lettre.
.............« à nouveau tu as répondu à ma détresse... »........
«Je m'en vais, te laisse seule alors que j'aurais voulu t'aider, te tendre la main comme tu m'avais tendue la tienne. »...............
« pour profiter de la vie car tu le mérite et ce malgré ce que peuvent en penser certains médisants. ».............
« Adieu Inès, adieu à toi que je peux dire j'ai aimé à ma manière, sans jamais ne rien en dire. Prends bien soin de toi, d'Ambre et puisse tu avoir un peu la chance de vivre en paix.
Ton amie, Shalina Feala Mezak »

Elle pose sa tête contre le mur, tachant de refouler sa honte.

Ephraën - fille de Moriandur

Dix septième récit: Alex (29/02/08)

La chaumière est misérable, le sol est en terre battue et la chaise sur laquelle je suis assise est bancale. C’est pourtant paraît-il la meilleure de la maison...

Comme on est jamais si bien servie que par soi-même, j’ai entrepris la tournée de nos villages pour étoffer les rangs des Sœurs de la Porte.
Je dois prendre sur moi car tout est à frémir : les maisons sont misérables, la boue est partout, gens et animaux vivent sous un même toit, la promiscuité est insupportable.
N’ont ils donc ni hygiène ni pudeur ? Mon amie Blanche a raison: ces gens sont des bêtes !

Celle qui vient d’entrer dans la masure a les cheveux courts comme un garçon, un visage fin et agréable, de jolis yeux. L’espace d’un sourire, mon cœur a battu plus vite.
Je me tourne vers ses parents.
« Comment se nomme t’elle ? Quel est son âge ? »
Les deux gueux se regardent, hésitent, le père se décide enfin à contrecœur...
« Elle, c’est Alex. »
Puis la femme ajoute « C’est la cadette, après trois filles, mon homme voulait un garçon, alors on l’a appelée Alex. Elle a 16 ans ».

Je regarde Alex, m’attarde un peu, puis regarde les deux croquants.
Le père est le plus prompt à réagir. « Vot’ noblesse, c’est pas possible. Elle nous aide aux champ et puis elle est bonne à marier, un gendre serait pas d’trop ! ».

Je ne le regarde même pas, je hèle la Soeur Bérangère qui porte un lourd registre. Elle me le tend ouvert à la bonne page. Je sens les deux paysans anxieux, tendus qui imaginent sans peine le contenu du grimoire. Je prends un air triste et inquiet, puis le referme enfin, après avoir fait durer le plaisir.

« Mes bons amis...vous êtes fort en retard dans vos taxes, je vois qu’une partie de vos bêtes a déjà été saisie...Je crois cependant que vous êtes de braves gens. Je suis disposée à oublier tout cela et même à vous exonérer de la dîme, de la taille, de la gabelle et de la corvée pour les trois prochaines années. »
Ils se regardent, baissent la tête. J’ai gagné.

Au retour, j’assois la petite paysanne en face de moi, dans le carrosse, pour la regarder tout à mon aise. Elle est émerveillée, conquise ; sans doute n’a t’elle jamais posé ses fesses ailleurs que dans une charrette.
Je pose une main gantée sur la sienne.
« Alex, mon enfant...Prêtez moi votre attention, je vais vous expliquer votre fonction pour laquelle  vous ne dépendrez que de moi. Désormais vous répondrez au nom de  Soeur Alexandra. »

maud shiraz alex ambre inès de tarse

Vingt quatrième récit: VENTINE

J’ai demandé à ce que l’on m’apporte un tabouret.
Depuis la pénitence infligée par Maud, mon dos me fait cruellement souffrir.
J’ai fait ouvrir la porte pour que nous nous voyions tout à notre aise. N’étant pas encline à la bravoure inutile j’ai fait doubler cette porte par une grille qui elle demeure close.
Je suis assise loin de la grille. Assez loin pour être hors de portée de ses ongles ou de tout objet qu’elle aurait aiguisé ou rendu pointu.
Elle est imprévisible. Elle a toujours été imprévisible, même avant.
C’est d’ailleurs bien pour cela qu’elle est ici. Je me suis lassée de ses menaces et de ses crises. Quand pour la seconde fois elle voulu m’occire, et que six gardiennes furent nécessaires pour la maîtriser, personne ici ne vit plus d’obstacle à ce que Sœur Ventine, enfant de Nathraé T'Souky'Hannor Dame d’Amour et de Paix, grande prêtresse d’Isalya, fondatrice de la Céphéide et du non moins légendaire feu Théotème Loinvoyant, fut reléguée tout en bas avec les autres folles.

« Savez-vous ma Sœur que votre frère s’inquiète de vous ? »
Ses mains sales sont accrochées aux barreaux, ses yeux brillent de haine, sa bouche…Par le Très Haut elle pourrait mordre.
« En fin de compte, je l’avoue je me suis trompée, il est bien votre frère, Madame votre Mère le reconnaît pour tel. Et puis il partage plusieurs traits de caractère avec vous. Il est fort insistant par exemple. »
Elle m’écoute. Il est vrai que personne ne descend lui faire la conversation. J’ai déjà du mal à obtenir que les Sœurs de la Porte nettoient de temps à autre les cellules et celles qui les occupent…
Je suppose que le temps s’écoule doucement ici.
« Il s’est mis en tête de vous récupérer. Il va vous soigner paraît il…Je serais fort curieuse de savoir comment. Savez-vous pourquoi il s’inquiète ? Je vais vous le dire : il ne reçoit plus de lettres. Cela est normal me diriez vous, car il y a belle lurette que vous n’avez écrit.
Rassurez-vous. Je l’ai fait pour vous. Remerciez moi, il y a maintenant presque deux ans que j’écris pour vous. A ce jour il n’a rien remarqué. Quant à moi j’ai presque pris plaisir à cet exercice.»

Le crachat passe près, très près.
Je poursuis comme si de rien n’était.

« Mais voilà, j’ai été distraite par d’autres sujets ces derniers temps et je n’ai point fait mon devoir épistolaire. Alors il s’inquiète et demande à vous voir. Comment allons-nous faire ? »

Oui, que vais je faire ?
Si elle était raisonnable nous pourrions trouver une solution.
Mais « raisonnable » n’est pas le mot qui la qualifie le mieux…Tout au contraire. Cela doit être la part de sang Drow qui coule dans ses veines.
Je n’évoque pas l’accusation portée par le Temple des Lois Immuables contre Isalya de Shaelyas. Si elle devait aboutir, peut être serais je débarrassée sans coup férir de Dame Nathraé et de cet Erevon. Mais je n’y crois guère, la providence est une fille versatile qui trop souvent déçoit.
Dans sa cellule Ventine rumine quelque chose en langue Drow : sûrement une amabilité à mon égard.

Que faire d’elle ?
Recommencer à écrire ? Je suis un peu lasse malgré tout de plagier son style et de faire des phrases interminables et tourmentées parlant d’ « âme » de « souillure », de « maladie de l’esprit». Et je crains que le frère ne se laisse pas prendre au jeu cette fois. Celui là aussi est une engeance de Drow donc un être dangereux.

Oui que faire ? D’autant que tout, oui tout, vraiment tout ce qui est arrivé est de sa faute…
En vérité, c’est moi qui suis bien à plaindre.